Le mode

"J'adore le mode". Voilà à quoi est réduite bien souvent l'industrie de la mode : à ces trois mots prononcés avec un accent anglais en français. Pourtant c'est une industrie qui en 20 ans a fait quelques pas en avant que d'autres pourraient lui envier. Je trouve qu'en ce sens, le défilé de Balmain pour H&M est très révélateur de comment la mode est vue et vécue aujourd'hui. En trois points, voilà pourquoi je pense que ce défilé est très représentatif de notre époque et de comment la mode évolue.


Je vais immédiatement mettre de côté tous les aspects négatifs de ce défilé en une seule phrase : H&M vend des vêtements d'une piètre qualité, confectionnés par des enfants très loin de chez nous dans des conditions inhumaines et ça se voit.


I. Une histoire de couleurs

Reprenons si vous le voulez bien pour les aspects positifs. Je vais pas vous faire l'historique de Balmain, je ne le connais pas et je ne vais pas non plus aller chercher sur la page Wikipedia une histoire pour faire comme si. Je vais juste vous dire ce que je sais : c'est une maison, elle existe depuis relativement longtemps et elle a su se renouveler avec l'arrivée d'Olivier Rousteing. 

Quelle est la particularité d'Olivier Rousteing à part qu'il a grandi à Bordeaux et qu'il a un an de moins que moi ? C'est un designer de mode et il est noir. Je ne sais pas si vous réalisez l'importance de ce détail donc je m'en vais vous donner quelques noms de designers comme ça sans ordre particulier d'importance ou d'âge :
- Yves Saint Laurent
- Karl Lagerfeld
- Raf Simons 
- Rick Owens
- Nicolas Ghesquière
- Jacquemus 
- Martin Margiela
- John Galliano

Je m'arrête là je vais pas tous vous les faire. Quel point commun ont tous ces designers ? Oui, exactement, ils sont tous blancs.

C'est le premier point de mon article : pour une fois, et c'est symptomatique de ces dernières années, je vois un défilé qui ressemble à la rue d'une métropole occidentale. C'est-à-dire un défilé qui ressemble à ce que je vois moi, consommateur européen, lorsque je sors dans la rue pour aller acheter des vêtements. Il y a des noirs, des asiatiques, des blancs et qu'est-ce que c'est rafraîchissant ! Non seulement c'est rafraîchissant mais en plus, ça fonctionne ! Sur le plan idéologique pour des raisons tellement évidentes que ça ne vaut pas la peine qu'on les détaille, mais en plus - et probablement surtout - sur le plan économique. C'est un principe simple : si je vois quelqu'un qui me ressemble le porter, j'ai envie de le porter. Je touche plus de gens, je fais plus d'argent. La bonne nouvelle ? Les "minorités" sont en passe de devenir la normalité. La mauvaise nouvelle, c'est que ce n'est probablement pas fait pour les bonnes raisons mais la fin justifie les moyens non ?


II. Tuons nos idoles pour les remplacer

Je me souviens d'un temps où les défilés se faisaient sur des rythmes assourdissants et où des femmes blanches couraient presque sur le podium en espérant être parties aussi vite qu'elles étaient arrivées. Il y a eu ces dernières années de vraies avancées. On se rappelle du défilé de danseurs de Rick Owens :

Mais Rick Owens est une personnalité à part dans la mode. Il se définit lui-même comme "anti fashion", même s'il défile tous les ans à toutes les fashion weeks parisiennes. Le défilé de Balmain a un peu repris cette idée, puisque ce sont des danseurs qui ouvrent et ferment le défilé avec une performance pour le moins intéressante puisque le twerk y a une place primordiale.

J'entends d'ici les plus énervés d'entre vous hurler "OOOOOOOOOOLD", mais prenez en compte qu'il s'agit de la mode les amis. La même mode qui a encore du mal à se défaire de son carcans de traditions et du poids de ses codes. Certes, on ne parle pas de Dior ou de Chanel, mais Balmain n'est pas une "petite maison qui deviendra grande" non plus. C'est donc une avancée, on ouvre la porte à ce que l'on peut appeler "la pop culture" et on laisse entrer quelque chose de nouveau, de différent et surtout de pas forcément "glamour" ou considéré comme tel par une élite . C'est quand même un événement. Et puisqu'on parle de pop culture...


III. Ouverture

Il y a dans les défilés des codes qui pour l'instant n'ont pas changé. Le premier look est un statement, c'est une manière d'annoncer ce que sera la collection, ce que veut dire la maison, son inspiration. Et il y a dans la vie des mannequins plusieurs moments importants : les premiers éditoriaux, les premières campagnes, les premières couvertures de magazines, les premiers défilés, puis... Les premières ouvertures de défilés.

Or qui fait l'ouverture de ce défilé ? Kendall Jenner, dernière arrivée d'une famille qui squatte les médias depuis presque 10 ans - pour des raisons qui m'échappent totalement d'ailleurs. Mais peu importe ! C'est Kendall, 20 ans, qui ouvre le défilé de Balmain. Quand on sait l'importance que l'ouverture a dans un défilé, je dirais que c'est bien plus qu'un petit détail, c'est clairement une déclaration d'intentions. Il y a encore des progrès à faire, mais Balmain n'a pas attendu H&M pour faire défiler Kendall ou Gigi Hadid - une femme qui est à des milliards de kilomètres du mannequin anorexique tel qu'on se l'imagine.


Alors OUI, c'est H&M et c'est destiné avant tout à vendre. Non, on n'est pas dans la folie créatrice ou dans l'expérimentation, c'est clair. Mais je trouve que le fait que justement une "marque" - même si ce n'en est pas vraiment une - comme H&M puisse défiler et gratter l'industrie là où ça fait mal, c'est quand même prometteur pour l'avenir de la mode. Un gros coup de poing dans le ventre du racisme et de la xénophobie que l'on voit progresser partout dans les urnes, un coup de coude dans la tronche de l'élitisme qui voudrait manipuler cette industrie et ne rien partager, un coup de pied dans le tibia de l'image du mannequin anorexique. 

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