L'enfant

Hier soir, juste avant d'aller dormir, je me suis trouvé face à face avec une énième photo d'enfant mort sur mon fil Facebook. Je me réveille ce matin en n'ayant pas décoléré et en essayant de trouver les mots pour exprimer ma rage et ma frustration face à ces photos qu'il est apparemment de bon goût de partager sur les réseaux sociaux. Je vais tenter de vous expliquer pourquoi je trouve la démarche ignoble.

En premier lieu, nous ne sommes pas des journalistes. On pourrait débattre pendant des heures pour savoir si ces photos doivent être montrées en général, mais je ne suis pas un spécialiste en éthique journalistique donc je laisse le soin aux mêmes journalistes d'expliquer pourquoi ils publient ou ne publient pas des photos d'enfant mort dans leurs journaux. Quand vous vous choisissez de la publier en revanche, vous ne le faites pas dans le cadre d'un article, mais vous le faites en l'imposant à tout le monde. En un mot comme en cent, vous nous imposez votre choix et je regrette mais tout le monde devrait pouvoir choisir ce qu'il voit.


Et second lieu, notre société évolue et j'ai du moins la sensation que l'on respecte de plus en plus les libertés de chacun, pourquoi alors piétiner le rapport que chacun a à la mort ? Pourquoi nous imposer ces photos quand elle peuvent choquer, peiner et hanter les gens ? Avez-vous pensé aux gens qui ont eu des enfants mort-nés ? Avez-vous pensé aux gens qui ont perdu un enfant dans un accident - peu importe sa nature ? Je vais aller plus loin encore et vous demander si cet enfant mort sur la plage était le vôtre, est-ce que vous seriez satisfait(e)s que sa photo se balade sur les réseaux sociaux accompagnée d'un message que vous n'approuveriez au passage peut-être même pas ? Tout le monde était choqué de voir que des gens s'envoyaient la vidéo du policier se faisant assassiner pendant les attentats de Charlie Hebdo, mais personne n'est choqué de se passer une photo d'enfant mort sur la plage à tous ses contacts Facebook ? Le monde a-t-il tellement changé en 9 mois ?

Enfin, vous n'êtes pas les détenteurs d'une morale universelle parce que vous nous montrez cette photo. Ce n'est pas parce que vous nous dites que "la situation est horrible regardez cet enfant mort si vous ne pleurez pas c'est que vous n'avez pas de cœur" - comme je l'ai lu - que vous changez l'horreur de la situation et que vous êtes "au-dessus" de ceux qui ne veulent pas voir ces photos. Je n'ai pas envie de les voir et je n'ai pas la sensation d'être un égoïste qui fera tout pour que son privilège soit intact. Je suis outré de voir que la France intervient mollement sur la scène internationale et ne fait rien pour les réfugiés, je suis absolument écœuré de lire les commentaires ignobles à ces photos et je l'étais déjà avant de voir vos photos sur Facebook.

 Je n'ai pas envie de voir ces photos parce qu'elles me semblent obscènes et je ne comprends pas, ça ne rentre pas dans ma tête, que vous nous les imposiez de la sorte. Si vous avez besoin de les regarder chez vous parce que vous pensez que cela va provoquer un électrochoc, faites-le ! Un bon paquet de journaux les ont publiées. Si vous voulez pousser un coup de gueule sur les réseaux, allez-y ! Mais de grâce ne nous imposez pas ces photos au titre que "c'est nécessaire" parce que non, ça ne l'est absolument pas. Il faudrait vraiment que l'on soit des dégénérés pour ne pas broncher en entendant que des gens meurent du désespoir dans lequel ils se trouvent et qu'il faille nous montrer des photos pour nous pousser à agir. On n'a pas eu besoin de photos d'enfant mort pour Haïti, pas non plus pour le Tsunami, on s'est très bien débrouillé sans ces photos horribles pour donner quand il a fallu donner.

On ne bougera absolument pas les choses en partageant ces photos, mais en participant à l'effort fourni par les associations - étant donné l'absence d'effort fournit par le gouvernement - en donnant de l'argent ou du temps à ces gens qui vont sauver des vies. Je vous mets un lien vers plusieurs d'entre elles ici :
- www.moas.eu une association qui va sauver les réfugiés en mer directement ;
- Médecins sans frontières ;
- La Croix Rouge ;
- un article de Slate.fr qui nous explique ce qu'on peut faire ;