La Photographie

Il y a un an, à peu de choses près, je laissais tomber mon travail comme directeur de la communication dans une marque de ready to wear pour devenir photographe. À l'époque, je disais que j'allais devenir plein de choses en même temps, ça devait me faire peur de devenir seulement photographe parce que... Mais pourquoi d'ailleurs ? Pourquoi est-ce qu'on a peur que nos enfants deviennent photographes - ou d'une manière générale, "artiste" ? Pourquoi a-t-on peur de le devenir ? Et a-t-on raison d'avoir peur ?

J'ai su que je voulais faire de la photographie il y a très longtemps. J'ai eu mon premier appareil pour mes 8 ans et j'adorais ça, même si à l'époque ça voulait surtout dire que ça coûtait très cher et que donc je n'allais pas pouvoir faire toutes les photos que je voulais aussi facilement. Je suis aussi de la génération des appareils jetables, privilège dont j'ai usé et abusé plus d'une fois.

Pourquoi alors ai-je commencé des études de droit ? Pourquoi ne pas avoir commencé plutôt des études de photographie ?



Un premier élément de cette réponse se trouve à mon sens dans l'éducation que l'on reçoit. On ne nous dit jamais qu'on peut être artiste. Ou du moins on ne encourage certainement pas à l'être. Pourtant tous les enfants/adolescents ne sont pas prêts à devenir banquie(è)r(e)s, ou avocat(e)s ou même assistant(e)s social(e)s. Je suis même à peu près certain que très peu d'enfants rêvent de vivre de ces professions. En revanche je sais que je rêvais déjà à 15 ans de vivre du cinéma ou de la photographie. Alors pourquoi le système éducatif public français - dont je suis un produit 100% pur jus - ne nous encourage pas à suivre cette voix ? Il y a d'excellentes écoles de cinéma en France - la Fémis pour ne citer qu'elle.

Un deuxième élément de réponse se trouve chez mes parents. Quand un enfant vous dit qu'il veut devenir photographe, la première pensée qui effleure la majorité des parents est "ça va être très compliqué", ou bien encore "des milliers d'appelés, peu d'élus" - une phrase qui a bercé mon adolescence. Et je comprends mes parents même si je ne suis moi-même pas parent. L'idée de devoir donner toutes les clefs à un enfant me terrifie, alors l'idée qu'elle/il puisse vivre mal ou ne pas subvenir à ses besoins me remplit d'une angoisse absolument indescriptible.

Enfin, un troisième élément et pas des moindres, a été ma propre peur de me confronter, pendant des années, à une réalité qui me dépassait. En d'autres termes : il est beaucoup plus confortable de se plaindre et d'avoir peur que de se dire "je vais le faire, et je vais y arriver". Parce qu'alors on se lance dans une aventure où il faut oublier le confort.

À ces trois problèmes, il y a trois solutions :
1. L'éducation nationale doit cesser immédiatement d'envisager "un" enfant qui serait universel. On nous apprend en cours de biologie en sixième que nous sommes uniques, il est temps de traiter les enfants comme tels. Évidemment cela dépend beaucoup de comment nous votons et des choix que font nos politiques, autant vous dire qu'on n'a pas le cul sorti des ronces. Pourtant, comme le dit si bien Ken Robinson, l'éducation nationale telle que nous la concevons actuellement est en train de tuer la créativité des enfants : aucun enfant n'envisage les études de la même manière, ni le travail de la même façon (cliquez ici pour écouter Ken Robinson en parler, sous-titres disponibles). Je ne suis pas "rentable" si je m'assois à un bureau et je finis toujours par "traîner" sur les réseaux sociaux - comment croyez-vous que j'en sois arrivé à plus de 1.000 followers sur Twitter en 3 ans ? Certainement pas parce que ce que je raconte est intéressant. Certains avanceront que c'est une solution utopique, voilà pourquoi il y a le point numéro 2.

2. Les parents ont besoin de se rendre compte très rapidement que le vrai malheur, ce n'est pas d'avoir des difficultés à boucler les fins de mois, mais plutôt de faire un travail qui nous horrifie tous les jours de la semaine, toutes les semaines de l'année, toutes les années de notre vie. Alors bien sûr, encore une jolie phrase qui ferait une très belle illustration sur Pinterest, mais c'est la vérité. Parce qu'en réalité, on n'aura pas de mal à boucler les fins de mois si on aime ce que l'on fait. Parce qu'on prend plus de plaisir à faire la partie chiante de notre travail rêvé qu'à faire la partie géniale du travail qu'on abhorre. Et je vous dis ça parce que je le sais parce que c'est exactement ce que j'ai fait toute l'année passée.

3. Si tu es en train de lire cet article et que tu veux devenir quelque chose que tes parents ne voient pas d'un bon œil, n'hésite pas un seul instant et fais tout ce qu'il faut pour le devenir. Trop souvent on s'imagine que devenir "artiste" - acteur, photographe, peintre, etc. - c'est rien branler. Sauf que non, il faut prendre contact, remuer tout le répertoire de gens que tu connais, envoyer des mails, se présenter, insister, être lourd, exiger, se battre. Mais j'en reviens à mon point 2 : tu te battras pour quelque chose que tu veux. Y'a-t-il quelque chose de moins ingrat que ça ?


Une fois que je me suis lancé dans la photographie, qu'ai-je découvert pendant cette année passée ? J'ai découvert la triste réalité de la photographie et du traitement réservé aux photographes. Nous vivons une époque qui normalement devrait être celle du triomphe des photographes. Après tout, nous sommes les créateurs des images que tout le monde consomme. Et on n'a jamais consommé autant d'images que pendant ces 10 dernières années ! Comment se fait-il alors que nous soyons constamment maltraités ? Pourquoi ce mépris pour notre travail qui pourtant est nécessaire ?

Je pense beaucoup à ça ces derniers temps et la vérité c'est que je ne sais pas du tout pourquoi ni comment on en est arrivé là. Ce que je sais en revanche c'est que notre travail n'est en majorité pas respecté.

"Une photo c'est gratuit". Voilà ce que la plupart des gens semblent dire - ou plutôt hurler. Je ne compte plus le nombre de fois où je vois mon travail réutilisé sur des comptes Instagram comptant des milliers de followers, sans que mention ni crédit ne soit fait. Si vous me suivez sur Twitter, vous avez lu mes dernières aventures avec Tommy Hilfiger, une marque pour laquelle j'avais beaucoup de respect et je vous ai parlé des centaines de fois des collaborations avec les blogueurs qui "oublient" de mentionner le photographe. On veut consommer des images, on en veut chaque fois plus, mais on voudrait que le travail derrière la création de ces images soit gratuit. D'ailleurs :

"Ça te fera de la pub". Je ne sais même pas s'il est utile de développer sur cet aspect devenu maintenant monnaie courante dans les milieux de l'illustration, de la photographie ou du graphisme : on ne paye pas pour un travail comme celui-là, on mentionne. Et la raison pour laquelle on ne paye pas, c'est parce que "ce n'est pas un travail". L'ironie du sort est que plus le client est riche, moins il paye bien. Ce sont les mêmes qui réclament des sommes d'argent indécentes pour leur boulot qui refuseront de vous payer pour le vôtre. En revanche on fait miroiter sans aucune vergogne une "publicité" qui n'arrivera jamais bien évidemment ou jamais au niveau où on se l'imaginait.

Enfin, "peu importe l'œil, on veut du contenu". Cette boulimie d'images dans laquelle nous sommes à présent lancés a une conséquence directe : la disparition des "photographes". Il y a de moins en moins de photographes et de plus en plus de photos. Il n'y a pas si longtemps, un photographe était quelqu'un qui apportait quelque chose. Il y avait son œil, sa façon de voir les choses, son avis, la mise en scène, le moment où il appuyait sur le déclencheur... Bref, il y avait une vision. Maintenant il y a des gens qui appuient sur des déclencheurs. Mais qui sont ces photographes ? Qu'ont-ils voulu me dire ? Pourquoi cette photo est prise de cet angle là et pas d'un autre ? "Peu importe" semble-t-on nous dire. On est dans une consommation de photographie qui est comparable à celle de la nourriture dans les 90's. Et si par malheur on demande "Qu'est-ce que je suis en train de manger ?" on nous répond "Peu importe ! C'est bon non ? Alors mange !".

Une fois de plus, il y a des solutions, très simples, à ce problème :
1. Créditer la/le photographe. Il faut le faire, tout le temps, partout. Une photo, c'est une personne qui a pris son appareil et qui est parti quelque part faire cette photo ou qui a mis en scène cette photo, bref qui a TRAVAILLÉ pour cette photo. Rien que pour ça, le/la photographe mérite d'être mentionné.

2. Payer pour avoir un(e) photographe. Il y a deux poids deux mesures bien entendu, mais si vous avez de l'argent pour la publicité, alors vous avez de l'argent pour le photographe. Il est primordial que vous compreniez que le/la photographe est le/la créateur/créatrice de l'identité qu'aura votre marque. Et peu importe s'il s'agit d'une marque de fringues, d'une revue ou d'un restaurant. Quelqu'un verra cette photo et jugera votre image à partir de cette photographie.

3. Travaillez avec un(e) photographe, et si vous êtes lassés, changez ! Peu importe mais par pitié, ne souscrivez pas à des banques d'image. C'est sûr, c'est la solution de facilité, et il est bien plus simple de trouver des images en cliquant qu'en parlant avec votre photographe. Mais la photographie et la collaboration avec un(e) photographe c'est aussi ça : de la frustration parfois et de grandes joies souvent. En souscrivant à des agences, vous enlevez la frustration de l'équation, mais vous vous privez de grandes joies et d'une image qui serait unique. Et en faisant ça, vous participez à un système où les photographes sont la plupart du temps sous-payés et pas reconnu(e)s pour leur travail.

Voilà quelques pensées sur la photographie et sur les solutions assez simples à mon sens que l'on pourrait mettre en place pour consommer de meilleures images. Merci de m'avoir lu jusqu'au bout. Vous pouvez retrouver mon travail sur mon blog Des Gens En Photo et si vous voulez me contacter, il y a tout ce qu'il faut là-bas. Merci.

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