Les messages personnels

Quand j'étais un peu plus jeune, je me souviens que mon père me disait souvent "tu verras, quand tu seras grand y'aura des centaines de trucs complètement fous ! T'appuieras sur un bouton et pfiou ! tu parleras avec machin ou machine qui seront à des centaines de kilomètres de toi !". Et moi évidemment je le croyais parce que bon c'était mon père et c'était le plus fort en somme. Bien joué Papa, ça s'appelle l'Internet et effectivement, c'est complètement fou, pas toujours dans le bon sens du terme, mais enfin passons parce qu'après tout, quand j'appuie sur un bouton, pfiou ! je peux parler avec mon cousin, à condition qu'il soit connecté à Skype, cela va se soi.

Et l'autre jour donc, sur le réseau social Twitter, l'excellent Michel Pimpant a publié ce tweet que j'ai trouvé drôle et que je me permets de partager avec vous, une fois n'est pas coutume, insinuant que les paroles de la chanson "La Corrida" de Francis Cabrel, seraient en réalité un message digne de Radio Londres :



Ainsi donc, pour la blague, ce bon vieux briscard de Michel nous rappelait les paroles du Général "Les carottes sont cuites, je répète..." ou encore l'inimitable "Nous sommes sans nouvelles de la cigogne et nous aimerions qu'elle joue du piano au plus vite...". Après en avoir ri, Francis Cabrel étant pour ma part une source sans fin de rires sincères, je décide ce soir d'aller trouver le fameux bruit de Radio Londres. Celui que mes grands-parents m'ont raconté, les rares fois où parler de la Guerre semblait OK, ce bruit si caractéristique qu'on nous décrivait en cours d'histoire et géographie, dans une salle qui d'un seul coup prenait des airs de salons français des années 40. Je n'ai pas trouvé ce bruit que je cherchais, non pas que ma recherche ait été assidue. J'ai tapé "Radio Londres Bruitages" sur YouTube et à la place j'ai trouvé cette petite merveille :



Ni plus ni moins que Franklin Delanoe Roosevelt annonçant aux français l'arrivée des ricains sur la côte africaine, pour délivrer les colonies de l'Axe. Alors voilà, ça c'est pour l'introduction.

Seulement j'ai une imagination fertile et tout de suite, bêtement finalement, je me suis imaginé mon grand-père, né à Flaujagues, paysan, soldat, semi-résistant, semi appeuré par l'occupant, dans cette zone un peu trouble semi-occupée, semi-libre, selon que vous êtes au travail ou chez vous. Ce grand père, Jean-Louis était son nom, je me le suis imaginé à Flaujagues, nourrissant les bêtes, préparant la tambouille si vous me permettez cette familiarité, un soir de 1942. Imaginez-vous le village avec moi, ses personnalités, ses vallons typiquement girondins, ses vignes et sa terre sablonneuse. Et puis imaginez-vous qu'un soir de 1942, justement celui ou Jean-Louis a décidé de faire une soupe alors qu'habituellement, il n'aime pas beaucoup ça, la soupe. Il attend son institutrice de femme, et quand il entend frapper il est surpris, parce que nom de nom elle a les clefs Lucienne. Imaginez-vous que ce n'est pas Lucienne, quelle surprise, mais Antoine ! Antoine demande alors à rentrer, ce que Jean-Louis lui autorise bien volontiers, et Antoine, il est comme pris de quelque chose, mais Jean-Louis ne saurait pas trop dire si c'est de l'excitation ou une diarrhée violente vu qu'il se plie dans tous les sens. Une fois la porte fermée, imaginez-vous la bombe que lâche l'Antoine - et cela je le dis sans rapport aucun avec la diarrhée qui finalement n'en est pas du tout une : Roosevelt a parlé, et les amerloques seraient sur le point de débarquer sur la côte africaine.

Évidemment dit comme ça , à nous citoyens du monde, on s'en tamponne quand même violemment que les américains, en premier lieu, parlent et puis en second lieu, qu'ils parlent de libérer la côte africaine. Mais imaginez-vous un instant Jean-Louis et Antoine, l'espoir que ça a dû représenter pour eux ! Ce soir là, ceux qui ont pu entendre l'appel, la veille ou l'avant veille - oui parce que si vous connaissiez Flaujagues, vous aussi vous douteriez que qui que ce soit ait eu une radio dans le village - ont dû se sentir tellement forts ! Tellement proches de la liberté ! Ça y était ! Les américains arrivaient ! Et attention, ils ne le tenaient pas de n'importe qui, ils le tenaient de Roosevelt lui-même ! En français !

Je crois que ce qu'on peut retirer de cela, ce n'est pas saynète que je viens d'inventer qui ne passera probablement pas à la postérité, mais plutôt que nous sommes terriblement chanceux. Non pas parce que nous n'avons pas de guerre, mon pessimisme légendaire tendrait plutôt à ne pas trop parier sur l'absence de guerre pour les années à venir, mais surtout parce qu'en 3 secondes de recherche, j'ai pu accéder à ce véritable bijou d'histoire et m'imaginer, probablement en déformant beaucoup de choses, une scène de vie qui a peut-être existé. Et, peut-être est-ce de la niaiserie, mais je pense qu'accéder à ce genre de choses pour le prix d'une connexion internet mensuelle, c'est une chose magnifique. Chérissons-la le temps qu'elle durera, et profitons. Nos professeurs d'Histoire auraient certainement rêvé de nous faire partager cela aussi facilement lorsqu'ils nous imitaient le bruit de Radio Londres.

3 commentaires:

  1. Bien écrit ton post. C est vrai que c est extraordinaire internet et Google réponse à tout. Mais parfois c est inquiétant le syndrome de " la vérité est sur la 1 ère page de résultats". Je me demande si UNE fois dans leur vie mes mômes sont allés ne serait ce que sur la 2 eme page. Si l accès à l information immédiate ne coupe pas court à l esprit critique. Qu en dis tu young digital native ?

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    1. Je suis complètement d'accord, c'est le risque d'Internet, mais c'est le risque de tout finalement. C'est primordial d'apprendre à fouiller et remettre en cause, et Internet est un outil merveilleux. Je me souviens qu'un soir, un ami était venu manger à la maison. On dînait assez tard chez moi donc en famille on se met à regarder le 20h. Aussitôt commencé, mon père, ma mère et moi on parle au-dessus des informations, des reportages en se moquant ou pensant à haute voix... Mon ami à la fin me dit "mais vous n'avez rien écouté ! Comment pouvez-vous savoir ce qui se passe dans le monde ?". Ma mère lui a répondu "on n'écoute pas, on aiguise notre sens critique". Regarder le 20h en silence c'est pour moi aussi dangereux que ne pas aller en page 2 de Google. C'est une question d'éducation. Ceci étant, mon propos était de souligner qu'en quelques clics, je peux écouter la voix de Roosevelt parler et qu'après je passe à autre chose, alors que mon grand-père devait lui attendre que quelqu'un l'entende et le répète à quelqu'un d'autre, puis quelqu'un d'autre pour pouvoir enfin savoir que Roosevelt avait parlé. Et le choc de la prise de connaissance de cette information devait être considérable !

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  2. Ah le journal de 20 h c est le pire du pire ! Remercie tes parents ! Ta comparaison est très juste, se contenter de ce qu on te dit, ce qu on te montre ou de la page une. Ou creuser. C est une bonne segmentation de la population !

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