La nostalgie

Quand je suis arrivé à Florence pour les études de droit (je vomis mentalement à chaque fois que l'association d'idée Florence + droit se fait dans ma tête), je me souviens avoir pris une sacrée baffe dans la gueule sur plusieurs points de vue. La vie en commun, l'apprentissage de l'échec, l'organisation des révisions... Sur pleins d'aspects j'en ai pris plein la gueule pendant un an. C'était un peu comme si la vie était une mer et que j'étais passé de la Méditerranée à l'Océan Atlantique. Les vagues dans cette magnifique métaphore étant les leçons que la vie se chargeait de m'apprendre. En gros je me les pèle et je suis clairement pas équipé pour affronter les rouleaux.

De tous les litres d'eau salée que j'ai avalé à l'époque, je me souviens d'un litron particulièrement dégueulasse. Dans ma tête je l'ai appelé Nostalgie. Avec un N majuscule parce qu'à l'image des marins qui craignent la mer, je crains et respecte la Nostalgie. Comment expliquer la Nostalgie à quelqu'un qui ne l'aurait pas vécu ? Quiconque a éprouvé le manque connaît la Nostalgie. Parce qu'en fait, la Nostalgie, c'est pire. Quand une chose nous manque, on ressent en général un fort sentiment d'impuissance qui nous envahit et nous habite, jusqu'à ce que cette chose nous soit rendue. Un amour, une personne, une chose bien particulière... La Nostalgie c'est exactement ça, sauf qu'il s'agit d'un moment. Un ami chilien - ah désolé je suis international, c'est comme ça - m'a dit un jour qu'au Brésil - je n'y peux rien, c'est ma vie - ils ont un mot pour ça : saudade. Que les hellénistes* me confirment. Aucun rapport. 

Ce moment - passé - est par définition irrécupérable. Il est unique. Quand j'étais petit un jour mon père - encore lui - m'a dit "aujourd'hui t'es plus vieux qu'hier mais moins vieux que demain. C'est le genre de raisonnement que je réduis à son maximum et à chaque seconde qui passe je pense "plus vieux/moins vieux, plus vieux/moins vieux". J'ai saisi bien sûr l'allusion, il voulait me faire comprendre l'importance du moment

Chaque moment est unique, il est irrécupérable, il a déjà été vécu, il est parti aux placard des moments vécus, avec tous ses potes les autres moments. Ils sont là, bien stockés, parfois on va les chercher, on les regarde on se marre, on verse une larme, on se met en colère, on les sert bien fort dans ses bras, mais c'est terminé. La Nostalgie, c'est vouloir récupérer un de ces moments. C'est se mettre un habit de safari en mode Tintin au Congo pour chasser le moment, sauf qu'au lieu d'aller dans la jungle, tu pars au bois de Boulogne, chasser le fauve. Autant de dire que vue la faune qu'il y a au Bois de Boulogne, tu vas pas être déçu du voyage. Mais bon question fauve, c'est quand même pas gagné. 

Aujourd'hui je n'imagine pas ma vie sans retourner à Paris à un moment donné, mais le piège, le piège perpétuel dans lequel j'ai peur de tomber c'est : est-ce parce que je veux réellement retourneer y vivre, ou bien est-ce parce que je souhaite moi aussi m'habiller en chasseur et partir à la recherche du moment déjà vécu ? 

*si toi aussi tu es nostalgique de quand les profs disaient "il y a des hellénistes dans la classe ?"

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